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 Ce à quoi les syndicalistes CGT sont confrontés, et avec eux les Syndicalistes sincères et les salariés à l’esprit collectif, c’est l’offensive, la guerre sociale que mène avec violence le pouvoir au nom de sa classe.

Les deux mesures de cet été 2019, allocation chômage et retraite par points, ont 3 caractéristiques communes :

  • Elles sont les filles naturelles de la destruction massive du droit social, de la représentation des salariés par les syndicats, du marché du travail, une œuvre accomplie par la loi El Khomri et les 5 Ordonnances de l’été 2017. Deux ans seulement…
  • Elles ont été négociées en secret pendant 12 mois pour l’une et 18 mois pour l’autre, et dans les deux cas les institutions syndicales, parfaitement informées des intentions du gouvernement, ont préféré le tête-à-tête avec le pouvoir à l’information des adhérents et des salariés. Et ce dans un cadre où le gouvernement annonçait de façon claire qu’il ne négociait pas, qu’il s’agissait d’une « concertation », c’est-à-dire une rédaction commune du projet de loi.
  • Enfin et surtout, ces deux mesures sont la solution finale du système social : les deux systèmes précédents reposent sur la cotisation sociale, salariale et patronale, ce qui les remplace est déterminé par le pouvoir comme produit alternatif au système social. L’allocation chômage dégressive pousse à l’assurance individuelle privée, la valeur du point sera déterminée – ce qui n’est pas encore fait – par le gouvernement, et amènera à l’assurance individuelle privée de capitalisation. Pour celles et ceux, très minoritaires, qui en auront les moyens.

Ce qui met en cause l’existence, la crédibilité, la fonctionnalité du syndicalisme des militants de la CGT, c’est que face à ces attaques archi annoncées, revendiquées comme partie intégrante du programme électoral Macron, il n’y a rien. Si ce n’est ce qu’on sait être un échec garanti, la ronde des apparitions de rue nommées « journées d’action », pas d’action pas même une journée !

Enfoncés dans cette spirale de l’échec garanti, écrasés par le nombre d’échecs accumulés depuis le mouvement contre le CPE en 2006, nous devons reconsidérer l’ensemble de notre stratégie syndicale, et examiner d’urgence les mesures pour relancer la fonctionnalité du syndicalisme.

En deux ans, le marché du travail a été détruit

Nous devons faire l’inventaire exhaustif des Ordonnances qui ont affaibli de façon considérable notre syndicalisme à l’entreprise, pas pour le plaisir de souffrir, mais pour répondre à l’exigence de renaissance qui est notre tâche commune.

  • 31 août 2017. Le « projet de transformation du code du travail d’une ampleur inégalée », avait ce jeudi-là la forme de 5 ordonnances qui vont bouleverser les règles régissant les relations entre employeurs et employés en France. Publiées au Journal Officiel du 23 septembre 2017, elles avaient comme objectif :

    « Changer l’état d’esprit du code du travail », afin d’assurer plus de « liberté », de « sécurité » et de « capacité d’initiative » aux entreprises, pour « une impulsion déterminante pour l’investissement et l’emploi en France ».

    Édouard Philippe prononçait un réquisitoire contre le Code du Travail :
    « Personne ne peut aujourd’hui soutenir que notre droit du travail favorise l’embauche », « qu’il protège efficacement et qu’il aide au développement des entreprises ». « Pour le patron d’une petite ou d’une moyenne entreprise ou pour l’investisseur étranger, le droit du travail tel qu’il existe est souvent perçu comme un frein à l’embauche et comme un frein à l’investissement ».

    Macron ajoutait qu’il est « important de libérer le processus de “destruction créatrice » dans le monde du travail. Et c’est à cette « libération » que s’est attelé le gouvernement.

  • 23 septembre 2017. Une fois les ordonnances signées par le président et publiées au Journal officiel, puis ratifiées par le Parlement avant la fin de l’année, les salariés et les employeurs français sont entrer dans un nouveau monde, aux règles totalement bouleversées.
 1 • Une attaque en règle contre les prud’hommes

Détruire le droit du travail pour combattre « la peur de l’embauche des chefs d’entreprise, qu’elle soit rationnelle ou irrationnelle ». La première cible à abattre ? Les 210 conseils des prud’hommes, épouvantail dressé par le patronat. Le gouvernement a réussi à rendre moins attractif le recours aux prud’hommes en cas de licenciement jugé abusif. Il s’agissait de « favoriser la création d’emplois, en apportant beaucoup plus de sécurité au chef d’entreprise dans sa décision d’embaucher ».

  • Barème obligatoire. La mesure phare : un barème obligatoire, précisant le montant des indemnités que les prud’hommes pourront accorder à un salarié licencié de manière illégale.

    Avant, pour un salarié justifiant d’au moins deux ans d’ancienneté, la somme allouée ne pouvait pas représenter moins de six mois de salaire.

    Ce plancher est désormais divisé par deux : 3 mois minimum à partir de deux ans d’ancienneté, et un mois entre un an et deux ans. Pour les très petites entreprises (TPE), employant dix salariés maximum, ce plancher est très largement réduit : un demi-mois de salaire jusqu’à deux ans d’ancienneté, puis une hausse lente jusqu’à 2,5 mois de salaire, à partir de neuf années d’ancienneté.

  • Plafond. Désormais, les tribunaux ne pourront pas allouer plus d’un certain montant. Et ce montant est faible. Jusqu’à sept ans de présence dans l’entreprise, les prud’hommes ne pourront pas accorder beaucoup plus d’un mois de salaire par année d’ancienneté, et l’on passe à moins d’un mois par année d’ancienneté dès dix ans de présence dans l’entreprise. Quant au maximum autorisé, il ne dépasse pas l’équivalent de 20 mois de salaire, à partir de 29 ans d’ancienneté.

    Ce barème porte un sérieux coup aux salariés les plus âgés et les plus anciens dans les entreprises. Désormais, ils ne pourront pas toucher plus de 20 mois de salaires aux prud’hommes, alors qu’aujourd’hui, la moitié des salariés totalisant plus de 20 ans d’ancienneté y obtient plus de deux ans de salaire. Les salariés de plus de 50 ans sont justement ceux dont la proportion a beaucoup grimpé par rapport au nombre total d’affaires jugées aux prud’hommes. Et ceux qui sont le plus susceptibles de ne pas retrouver d’emploi une fois qu’ils sont licenciés…

  • Durée réduite de pour saisir les Prud’hommes. Le gouvernement a réduit la durée pour saisir les prud’hommes après un licenciement. Elle était de deux ans depuis 2013, elle passe à un an (c’était déjà le délai légal en cas de licenciement économique). Une division par deux qui masque un recul beaucoup plus important sur le moyen terme : entre 2008 et 2013, le délai de saisine des prud’hommes était de cinq ans. Et avant 2008, il était de… 30 ans.
  • Effondrement du recours aux Prud’hommes. Le nombre de recours aux prud’hommes s’effondre depuis 2015, avec des chiffres mensuels de saisines chutant parfois de plus de 45% en un an. Désormais, les « erreurs de forme de bonne foi [de l’employeur] ne l’emporteront plus sur le fond » et ne seront plus « pénalisées » aux Prud’hommes.
 2 • Les directions pourront imposer une baisse de rémunération
  • Baisse des rémunérations. Cette rupture majeure dans le droit du travail incarne à elle seule  « l’inversion de la hiérarchie des normes » : il sera désormais possible pour une entreprise de négocier avec ses représentants syndicaux une baisse ou une disparition de toutes les primes, même si elles sont prévues dans la convention collective de la branche professionnelle dont l’entreprise dépend.

    Avant, la hiérarchie des normes imposait qu’un avantage prévu par une branche s’applique au moins aussi bien dans toutes les entreprises du secteur.

    Beaucoup d’entreprises se livrent à des pressions très fortes venues des donneurs d’ordre, genre une grande entreprise demandant à son sous-traitant de faire baisser ses coûts salariaux, sous la menace de suspendre ses commandes.

 3 • Fin de la règle unique pour les contrats courts
  • Contrats à durée déterminée à disposition des branches. Les motifs de recours aux contrats à durée déterminée ont volé en éclats. Avec les Ordonnances, chaque branche professionnelle définit, dans le cadre de négociations entre syndicats et patrons, la façon dont elle entend réguler l’emploi des contrats courts, notamment leur durée, leur renouvellement ou leur nombre total pour un même salarié.

    Il est possible que la France compte plus de cent façons différentes de régir le recours au contrat à durée déterminée (CDD). Ces règles pourront largement outrepasser la loi actuelle, qui veut que la durée totale d’un CDD sur le même poste ne dépasse 18 mois en tout et ne soit pas renouvelée plus d’une fois. Si un secteur d’activité le souhaite, il devrait pouvoir aller jusqu’à des CDD de 5 ans, c’est-à-dire la limite légale européenne.

  • Contrat de chantier. Les branches auront aussi la possibilité d’activer un nouveau dispositif, dont nous avons déjà détaillé les risques : le contrat de chantier. Un type de CDI, mais qui n’est à durée indéterminée que sur le papier, puisqu’il permettra de se séparer d’un salarié dès que le chantier ou le dossier qui lui aura été confié sera achevé. Le gouvernement a créé un vrai-faux CDI, qui restreint notamment les possibilités d’obtenir un prêt bancaire ou tout simplement un logement.
 4 • Des départs encore facilités dans les entreprises

Le gouvernement a permis aux directions d’entreprises de négocier avec leurs syndicats pour autoriser des réductions d’effectifs. 

  • Accords de compétitivité. Afin que les entreprises puissent « s’adapter plus vite aux évolutions à la hausse ou à la baisse du marché », elles ont le droit de faire signer aux représentants du personnel des accords majoritaires « simplifiés » en matière de temps de travail, de rémunération et de mobilité.
  • « Rupture conventionnelle collective ». Si l’entreprise estime qu’elle doit se réorganiser, pour des motifs autres que purement économiques (modifier la pyramide des âges de ses effectifs, par exemple), elle pourra proposer à la signature un accord majoritaire prévoyant des départs volontaires, en échange de conditions favorables, comme une prime de départ. Si tous les salariés utilisant ce plan de départs d’un nouveau type sont volontaires, l’entreprise pourra s’en séparer d’un seul coup, et sans les contraintes légales inhérentes aux plans sociaux. Ces départs, « strictement volontaires », devront être homologués par l’administration.

    Cette démarche rappelle fortement la rupture conventionnelle, autorisée depuis 2009 : lorsqu’un salarié individuel et son employeur trouvent un accord, le salarié quitte l’entreprise sans qu’elle ait besoin de recourir à la procédure lourde du licenciement. 

 5 • La santé d’une multinationale appréciée sur sa seule filiale française
  • Appréciation du périmètre pour déterminer la santé économique d’une entreprise. Derrière cette formule se cache un enjeu de taille : pour juger du bien-fondé du déclenchement d’un plan social dans la filiale française d’un groupe international, ou de la fermeture d’un site, faut-il prendre en compte la situation de la multinationale au niveau mondial, ou seulement celle de sa filiale française ?

    Seul le territoire national sera retenu pour apprécier les difficultés du groupe international qui licencie en France. Et ce pour « être aux standards européens » et prendre une mesure « très regardée par les investissements internationaux ». Cela revient à donner la priorité aux licenciements dans le traitement des difficultés des sites français.

 6 • L’irruption du référendum d’initiative patronale
  • Référendum d’initiative patronale. Les dirigeants de petites entreprises pourront soumettre directement à leurs troupes un projet de texte modifiant leurs conditions de travail. Si au moins deux tiers des salariés votent en sa faveur, le texte sera adopté. C’est l’introduction dans le droit du travail du référendum d’initiative patronale, dans les très petites entreprises : celles employant moins de 11 salariés, ou moins de 20 salariés si elles ne comptent pas de délégué syndical (ce qui est le cas de 96 % des entreprises de moins de 50 salariés). Pour les entreprises de plus de 50 salariés, il faut l’accord de certains syndicats, rassemblant au moins 30 % des voix des salariés.
  • Négocier des accords collectifs avec un élu du personnel non mandaté par une organisation syndicale pour le faire, si l’entreprise compte moins de 50 salariés. 
 7 • Une instance unique qui dilue la représentation des salariés
  • Conseil social et économique (CSE). « La pointe de l’innovation sociale » de la destruction ? La fusion pure et simple des instances représentatives du personnel, à savoir les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT, sous le nom de conseil social et économique (CSE). Elle est devenue obligatoire pour tous.
  • Les délégués syndicaux, qui négocient les accords, pourront être absorbés par l’instance unique CSE. Ils ont perdu une place, indépendante, tout à fait singulière. L’instance unique, quant à elle, ne bénéficiera pas d’un membre élu de plus pour prendre en charge les missions du délégué syndical disparu. 

 Nous n’avons pas deux ans pour réinventer le syndicalisme

Le mouvement des Gilets Jaunes a réanimé, réveillé, réhabilité l’action directe, dont le fondement est la dignité du peuple, le droit à l’existence malgré l’inhumanité du système capitaliste qui les rejette, les marginalise, les méprise. Ce qui interroge, ce n’est pas ça, c’est l’énorme rejet des institutions syndicales, politiques et médiatiques qui leur paraissent complices, collabos, du pouvoir qui les a déclassés et relégués.

Pour autant les syndicalistes, à titre individuel, n’ont pas été rejetés, et ont pu prendre place dans ce mouvement. Cette jonction a été contredite publiquement par la construction d’un cordon sanitaire des institutions syndicales, qui ont été jusqu’à déclarer ensemble leur condamnation des violences dont ils attribuaient la responsabilité aux seuls Gilets Jaunes.

Si bien que confrontés au gouvernement qui est en train de gagner la guerre des classes, et devant un mouvement des Gilets Jaunes qui prend le chemin de la lutte en ignorant les vieux outils rouillés de combat, la CGT n’ayant pas de ligne, nous devons, nous avons le devoir de nous réinventer. La course s’engage contre un mouvement de démoralisation, de découragement sur fond de confusion.

Nous n’avons ni la science infuse ni la qualité de prophète éclairé. C’est pourquoi nous appelons au débat libre, sans a priori, fraternel, ouvert à mener pour la renaissance du syndicalisme de combat, de mouvement, d’action, de classe…