Moralisation de la vie publique : Est-ce vraiment de cela dont la France souffre ?

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La scandaleuse affaire Cahuzac fait encore couler beaucoup d’encre dans la presse et doit faire affluer un sang d’encre dans les veines de quelques élus du peuple, banquiers, dirigeants d’entreprises, magistrats…

 


 

MORALISATION DE LA VIE POLITIQUE :

EST-CE VRAIMENT DE CELA DONT LA FRANCE SOUFFRE ?

 

La scandaleuse affaire Cahuzac fait encore couler beaucoup d’encre dans la presse et doit faire affluer un sang d’encre dans les veines de quelques élus du peuple, banquiers, dirigeants d’entreprises, magistrats… qui redoutent peut être la vérité sans fard de la transparence. L’affaire Cahuzac ne fait que commencer et le déballage public prévisible risque d’entraîner dans son sillage quelques ténors des sphères du pouvoir. Le plus effrayant pour ce microcosme n’est pas la découverte d’une vérité, mais son affichage sur la place publique.

La parole des élites du monde politique et médiatique se drape de stupeur et de moralisme. Mais s’agit-il uniquement de morale ? La morale peut revêtir l’armure de l’inquisition et servir l’unique intérêt d’une extrême-droite surfant sur les peurs, l’exclusion et le théorème du « tous pourris ». Le soupçon agit comme un poison dans les veines de la démocratie. La thèse du « tous pourris » alimentée par une presse plaçant sur un même pied d’égalité l’extrême-droite et une partie de la gauche touche à l’abject : assimiler bourreaux et victimes est passible de révisionnisme. Nombre d’éditorialistes et de directions de rédaction devraient plutôt faire œuvre de pédagogie en rappelant sans cesse aux jeunes générations la sinistre impasse à laquelle mène un parti d’extrême-droite au pouvoir.

Il faut aussi reconnaître que l’odieuse campagne électorale pour les présidentielles d’une droite prête à briser toutes les digues républicaines afin de rendre légitime les orientations politiques d’une droite extrême participe dangereusement à la perte de repères qui sévit dans notre pays.

Messieurs les éditorialistes ou animateurs de talk-show, plutôt que d’inviter la fille du père sur vos plateaux où règne une atmosphère conviviale, rappelez sans cesse que la fortune personnelle de cette famille – qui ose parler de morale – repose sur l’affaire scabreuse du cimentier Lambert.

La presse aurait à gagner à s’inspirer de Médiapart qui ose travailler dans le cadre d’un véritable travail d’investigation sur l’entourage nébuleux du parti de l’exclusion et des bandits du grand chemin de l’évasion fiscale.

Il ne s’agit donc pas de morale, mais d’indépendance qui devrait être au cœur des préoccupations de l’exécutif. Indépendance des politiques face aux lobbyes et aux forces de l’argent, indépendance de la justice face au pouvoir des politiques et indépendance des journalistes face à l’ensemble de ces pouvoirs !

Mais nous en sommes loin. Le « c’est pas moi, c’est lui », le cynisme des affaires connues de longue date et sorties au moment opportun discréditent la politique et le politique aux yeux des citoyens. Le « je te tiens, tu me tiens » porte un coup fatal aux partis républicains, souvent et malheureusement au seul avantage du parti de la haine et de l’exclusion.

Qui peut penser un seul instant qu’une telle défiance vis-à-vis des politiques et de la politique pourrait s’effacer dans la comédie grotesque de la présentation, à grand renfort médiatique, du patrimoine des ministres ou des élus de la République.

Le clivage entre droite et gauche ne peut se résumer aux affaires mais à de véritables projets politiques alternatifs. Les citoyens de France n’ont pas élus les représentants de Goldman & Sachs et du FMI pour décider de leur destinée.

Les ténors politiques et les éditorialistes en vogue jouent pourtant une unique et même partition. Discours et décryptages à géométrie variable produisent les mêmes effets : à les entendre vouer aux gémonies celui qu’il encensait hier démontre qu’il ne fait pas bon d’être pris la main dans le pot de confiture.

Effectivement, le « père la rigueur pour les autres » imposant moult sacrifices aux plus démunis, sacré roi de l’évasion fiscale contre laquelle il était censé œuvrer, fait tâche en plein cœur d’une crise dont les dividendes pour des millions d’anciens salariés se paient cash à la banque du Pôle Emploi. Même le coming-out favorisé grâce à l’aide d’un juge comporte son autre part de mensonge. Le pauvre bougre vivrait son chemin de croix de l’indignation nationale pour quelques pauvres 600 000 euros.

Heureusement, notre confrère Antoine Peillon, rappelle depuis quelques jours, sur de nombreux plateaux télés, que le ticket d’entrée du détournement des recettes fiscales ne vaut que pour un minimum de 10 millions d’euros. A croire que la somme des rémunérations des différentes officines pharmaceutiques utilisant le réseau et le carnet d’adresse de Cahuzac ne se convertit pas en quelques centaines de milliers d’euros. L’unité de mesure est a minima la dizaine de millions d’euros pour tenter d’intéresser les rabatteurs/vautours d’UBS.

Cela autorise-t-il pour autant certains procureurs auto-déclarés garant de la morale à aboyer au scandale en continuant à mener de front, en toute légitimité, un mandat électif doublé du trouble rôle d’avocat d’affaires ? Cela empêche-t-il le douteux président de l’UMP, sympathisant des thèses de l’extrême-droite, d’hurler avec les loups après l’avoir vu dans des pages « people » se prélasser dans la piscine en eaux troubles du marchand d’armes Takiédine ? Le sieur consent enfin à laisser son trouble « double emploi » de représentant du peuple et d’avocat d’affaires, non par conscience, mais par obligation, en anticipant ce qui deviendra dans peu de temps force de loi.

N’oublions pas que les valeureux déontologues et nos politiques n’ont eu de mots assez durs pour jeter, il y a encore peu, Plenel et Médiapart dans les poubelles du journalisme. A force d’excès quotidien et du langage apathique d’un chroniqueur cumulard de Canal Plus dédiant son accent chantant à la défense du système, méfions-nous que le travail d’investigation n’ait bientôt plus sa place dans notre démocratie.

Dénoncer les maux d’un système suranné sur la base d’une enquête approfondie deviendrait suspect au profit d’un soupçon d’invectives, d’une pincée de démagogie et de deux doigts de décryptage partisan pour les journalistes vedettes des talk-show ? Pour réussir une belle carrière journalistique, ce cocktail de la connivence doit-il être enseigné dans les écoles de journalisme ?

Le cas Cahuzac représente la parfaite synthèse du « ni droite ni gauche » et c’est bien là que le bas blesse : adoubé par Sarkozy et couronné par Hollande, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale devenu ministre du budget a depuis bien longtemps travaillé à traduire  fiscalement le pacte d’austérité décidé au niveau européen et validé dans les mêmes termes par les deux résidents successifs de l’Elysée.

Cette politique satanique fauche les jeunes sans emploi, les ménages à faibles ressources, les salariés précaires, les retraités et les digues solidaires de la Nation pour répondre à l’insatiable soif du marché de la spéculation. Retraites, acquis sociaux (ANI), coût du travail sont rognés sans vergogne pour donner le change au MEDEF et aux agences de notation qui agitent en continu les « réalités » de la mondialisation et de la délocalisation.

C’est bien de cela dont notre pays souffre. Entre les deux partis majoritaires, les oppositions politiques se situent sur le simple terrain de la promesse dans la folle valse de l’alternance. Mais pour combien de temps encore ? Antoine Peillon démontre dans son livre « Ces 600 milliards qui manquent à la France » le processus infernal de l’évasion fiscale pratiqué à l’échelle de la planète dédié aux Français déjà immensément riches.

Un déficit chronique du budget de la Nation, un taux de chômage qui atteint des records, des millions de Français qui connaissent chaque jour davantage cette politique de rigueur, des aides de l’Etat distribuées à des dirigeants d’entreprises qui spolient les recettes fiscales du pays peut-il encore durer longtemps ? 600 milliards à récupérer pour que la crise disparaisse et que le modèle social français ne servent pas de trophée aux spéculateurs, aux exilés fiscaux, aux fraudeurs et aux bandits de la finance.

Le 22 janvier 2012, le candidat Hollande prononçait un discours au meeting du Bourget :

« Mon véritable adversaire, n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance… »

Ce discours fut salué à son époque comme une volonté de changer radicalement la politique menée par son prédécesseur. Un an plus tard, ce discours relève plus de l’incantation que d’une véritable volonté politique et génère une déception grandissante auprès de ses électeurs qui s’interrogent de plus en plus sur la crédibilité de ses promesses.

QU’EN EST-IL CONCRÈTEMENT ?

  1. « Une loi sur les banques »

Extraits du discours du Bourget : « Maîtriser la finance commencera ici par la vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives. Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux… »

Un an après : les principales activités « douteuses » des banques françaises sont toujours de mise. Selon une étude (CCFD-Terre solidaire), les principales banques françaises peuvent toujours compter sur leurs 547 filiales élisant domicile dans les paradis fiscaux. Bien évidemment, cette « volonté politique du Bourget » n’empêche nullement les banques « étrangères » de continuer à démarcher les grandes fortunes françaises en leur vantant les mérites et la faisabilité de l’évasion fiscale.

  1. « Changer l’orientation de l’Europe »

Extraits du discours du Bourget : « L’autre point par rapport à la finance est européen. La France doit retrouver l’ambition de changer l’orientation de l’Europe. Elle imposera de savoir convaincre et entraîner nos partenaires. Je renégocierai le traité européen issu de l’accord du 9 décembre pour lui apporter la dimension qui lui manque, c’est-à-dire la coordination des politiques économiques, des projets industriels, la relance des grands travaux dans le domaine de l’énergie et puis les instruments pour dominer la spéculation, un fonds européen qui puisse avoir les moyens d’agir sur les marchés avec l’intervention de la Banque centrale européenne qui devrait être, finalement, au service de la lutte contre la spéculation. J’agirai en faveur de la création d’euro-obligations. »

Un an après : au prétexte trompeur de l’obtention d’un « pacte de croissance », le Président de la République a appliqué dans des termes identiques le traité européen « d’austérité » ficelé par le couple Sarkozy-Merkel. Le mécanisme européen de stabilité permet aux marchés financiers d’avoir la même liberté afin d’étrangler les pays européens dans une sauvage politique d’austérité en termes de financement de la dette publique. La Grèce, Chypre, l’Espagne, l’Italie… et le peuple de France attendaient une autre attitude de la part du Président de la République française. Le « changement dans la continuité » ne peut faire l’objet d’une simple campagne de communication.

  1. « Les entreprises rembourseront… »

Extraits du discours du Bourget : « Je favoriserai la production en France en orientant les financements et les allégements fiscaux vers les entreprises qui investissent sur notre territoire, qui y localisent leurs activités. J’exigerai des entreprises qui se délocalisent qu’elles remboursent immédiatement les aides publiques. »

Un an après : un cadeau royal de 20 milliards d’euros fait aux grandes entreprises au nom de la compétitivité par le biais d’un allégement d’impôt. Quant à lui l ‘« Accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi » souhaité par le Medef, validé par 3 organisations syndicales (CFDT, CFTC et CGC) et entériné sans pratiquement aucun changement par les députés de la majorité renforce dramatiquement la précarité des salariés de notre pays et met à bas des décennies de conquêtes sociales.

Quelles contreparties des « investisseurs » en regard de ces somptueux cadeaux ? Les actionnaires disent merci à M. Hollande et engrangent un niveau de dividendes équivalent à celui qui était le leur avant la mise en œuvre de ces « mesures ».

Pendant ce temps, le taux de chômage n’en finit pas de battre de sinistres record. Est-ce la contrepartie espérée après les dix années d’une droite au pouvoir, elle-même, oh ! combien généreuse avec les entrepreneurs.

Le président directeur-général de Google, roi de l’évasion fiscale pour son entreprise multi milliardaire reçu en grande pompe sur le perron de l’Elysée s’acquitte de quelques miettes à l’égard  de quelques éditeurs de presse comme solde de tout compte.

Le dossier emblématique d’Arcelor-Mittal décrédibilise gravement dans l’opinion publique la parole et les engagements du chef de l’Etat. Dorénavant, une analogie et symbolique mortelle pour le Président de la République censée représenter la gauche : les promesses de Sarkozy et de Hollande s’érigent en forme de stèle mortuaire…

  1. « La réforme fiscale dont notre pays a besoin… »

Extraits du discours du Bourget : « C’est pourquoi j’engagerai avec le Parlement la réforme fiscale dont notre pays a besoin. C’est pour la justice que je reviendrai sur les allégements de l’impôt sur la fortune, c’est pour la justice que je veux que les revenus du capital soient taxés comme ceux du travail. Qui peut trouver normal qu’on gagne plus d’argent en dormant qu’en travaillant ? »

Un an après : la grande réforme fiscale promise à la niche ! Les « pigeons » n’ont pas besoin de descendre dans la rue pour se faire entendre. Le battage médiatique de quelques jours, favorisé par les grands industriels et les banquiers propriétaires des titres de presse, suffit à changer le cap « intangible » décidé par le candidat Hollande.

Toutes les semaines le Medef et les patrons expriment leur contentement de voir le Président de la République répondre à leurs doléances : ANI, simplification de la taxation des plus-values, allègement des droits de succession…

En mai 2013, il est toujours normal de gagner plus d’argent en dormant qu’en travaillant.

Les « véritables pigeons » ne seraient-ils pas ceux qui ont apporté leurs suffrages en mai dernier au candidat Hollande ?

Monsieur le Président de la République,

Il est encore temps de mettre la barre à gauche et de redonner espoir aux Français qui vous ont accordé leurs suffrages. Les lois proposées par le Gouvernement pour moraliser la vie publique ne peuvent se résumer à la présentation d’une déclaration de patrimoine des élus de la République.

Une chance historique vous est donnée pour créer les cloisons étanches entre ces différents pouvoirs qui se supportent les uns les autres.

Une chance historique vous est donnée pour décréter l’indépendance de la justice, l’indépendance des politiques face aux lobbyes et aux forces de l’argent et l’indépendance des journalistes face à l’ensemble de ces pouvoirs.

Une chance historique vous est donnée pour attaquer de front les bandits de la finance et de l’évasion fiscale afin de récupérer les sommes faramineuses qui manquent à la France.

Une chance historique vous est donnée pour mettre en œuvre une véritable politique de gauche en renforçant le cadre social du modèle français.

Parions ensemble que ces actes politiques forts seront de nature à éloigner définitivement le spectre Cahuzac et à renvoyer définitivement le parti de la haine et de l’exclusion dans les bas-fonds des sondages.

Par Olivier Blandin,

secrétaire général d’info’Com-CGT • Mai 2013

 

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